Guinée Equatoriale : après le procès des Biens mal acquis en France,
des élections saugrenues augurant d’une monarchisation.
Communiqué du Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,
Paris, 16 novembre 2017
Le 12 novembre ont été organisées des « élections » législatives, sénatoriales et municipales en Guinée Equatoriale. Dans ce pays, le processus de démocratisation n’a pas avancé depuis l’arrivée formelle du multipartisme en 1991. Les conditions de déroulement d’une élection sont si peu présentes, qu’il ne se distingue aucun processus électoral, comme il en existe dans de nombreuses dictatures d’Afrique. Il ne s’agit pas de détournement de processus électoral en amont mais d’absence de processus électoral. Le terme des mandats des députés étaient en mai 2018, et, par surprise, en septembre 2017, le chef de l’Etat a annoncé par décret le 16 septembre, une date du scrutin moins de 2 mois après. Il n’est pas question de Commission électorale indépendante. Aucune condition pour une élection démocratique n’est présente, aucune condition pour des progrès en dictature autour d’un rapport de force n’est non plus présente.
Internet a été coupé le jour du vote, et les réseaux sociaux ont été bloqué le 27 octobre. Les fraudes qui ont été observées le jour du vote et à la compilation des résultats, par exemple l’absence de bulletins de votes ou le bourrage d’urnes, ne constituent qu’une partie émergée d’iceberg, des symptômes de l’état du régime et de son fonctionnement en temps normal. En termes de niveau de répression et d’absence de liberté, le régime équato-guinéen se situe dans les pires de la vingtaine de dictatures d’Afrique. Ce haut niveau s’observe dans l’absence totale de vie syndicale, de presse indépendante, d’organisations de la société civile, et de tout contre-pouvoir. La répression est permanente et brutale, elle est cependant peu visible de l’extérieur car le principe en œuvre est de tuer à leur démarrage toutes les tentatives d’organisations émancipées du pouvoir. Le système a ainsi été figé et est devenu internationalement silencieux.
Après les boycotts des démocrates dans les années 1990, comme dans d’autres dictatures, des partis d’opposition ont tenté dans les années 2000 de participer en espérant obtenir quelques avancées. Mais le président Téodoro Obiang Nguema est en Afrique le meilleur spécialiste de la désorganisation de l’opposition. Il n’a pas interdit les partis comme le roi du Swaziland, n’a pas supprimé les élections comme le dictateur d’Erythrée. Dans une absence totale d’Etat de droit, avec l’aide de l’argent du pétrole, il manœuvre constamment pour empêcher l’opposition d’exister.
La coalition de l’Union du centre droit (UCD) et de la Convergence pour la démocratie sociale (CPDS), et le parti Citoyens pour l’innovation (CI)[1], n’ont pas les moyens et les opportunités pour obtenir autre chose que des miettes. Téodoro Obiang Nguema a également empêché une opposition en exil en Europe de s’organiser. La Coalition d’opposition pour la Restauration d’un Etat Démocratique en Guinée Equatoriale créée fin 2013 a dénoncé lors du procès des Biens mal acquis les manœuvres du pouvoir pour l’affaiblir au travers d’une fausse coalition de même nom.
L’Union africaine a trouvé un ancien premier ministre rwandais, Pierre Habumuremyi, pour venir endosser la complicité d’un crime électoral, comme chef d’une fausse mission d’observation. Après sa participation, au travers de fausses missions d’observations électorales, aux inversions de résultats de la présidentielle au Tchad et à Djibouti en avril 2017, puis au travers de l’action de son président Idriss Déby au niveau de la Cour constitutionnelle, à l’inversion de résultat de la présidentielle du Gabon en septembre 2016, l’Ua confirme son rôle actuel prépondérant dans le maintien des régimes dictatoriaux au moment des élections.
Le scrutin de novembre 2017 en Guinée Equatoriale se déroule en plein processus de monarchisation qui s’accélère. Au pouvoir depuis son coup d’Etat en 1979, Téodoro Obiang Nguema terminera son troisième et dernier mandat en 2023, après avoir imposé sans aucun débat une limitation à deux mandats non-rétroactive après la modification de la constitution en 2011, ce que n’arrive pas à imposer aujourd’hui Faure Gnassingbé au Togo. Cette réforme de 2011 a créé également le Sénat et le poste de vice-président taillé sur mesure pour son fils Téodorin. Le chef de l’Etat prépare le transfert du pouvoir à son fils. Le signal donné est celui d’une volonté d’accélération. Cette probable transmission de pouvoir enfermera le pays dans une impasse politique qui risque d’aboutir dans quelques années à une nouvelle crise en Afrique centrale.
En France, le procès des Biens mal acquis s’est achevé le 27 octobre 2017 par une condamnation de 3 ans de prison avec sursis et 30 millions d’Euros d’amende, également avec sursis, à l’encontre de Téodoro Nguema Obiang Mangue, dit Téodorin. Ce procès a mis en exergue l’irresponsabilité de la famille Obiang. Téodorin, qui a fait appel de la décision, apparaît aux yeux du monde entier comme un simple criminel. Malheureusement, si l’image internationale s’est détériorée, le régime reste solidement structuré autour de la production de pétrole. Sans pression internationale, la population de Guinée Equatoriale est abandonnée entre les mains d’une famille. Les élections du 12 novembre 2017 renforcent son désespoir juste après le verdict du procès des Biens mal acquis.
En plein débat sur les processus électoraux en démocratie fragile au Kenya et au Libéria, à quelques jours du sommet Union africaine – Union européenne d’Abidjan, les législatives du 12 novembre en Guinée Equatoriale rappellent à quel point la question des processus électoraux en Afrique pose problème. D’un côté, les dictateurs continuent d’utiliser l’Ua comme outil d’aide à l’organisation de fausses élections, d’un autre côté, l’Ue, après son importante action au Gabon en 2016, risque de se voir refuser toute intervention en dictature et de devoir se contenter du renforcement des processus électoraux en démocratie fragile. S’il doit y avoir discussion sur le sujet dans l’optique d’une renégociation des accords de Cotonou dont dépend l’utilisation de l’aide européenne, derrière les discours diplomatiques apaisés, les positions sont pour l’instant très éloignées. Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique attend du sommet Ua-Ue des avancées clairement exprimées qui puisse redonner de l’espoir aux peuples africains prisonniers des régimes dictatoriaux.
A l’occasion des « élections » du 12 novembre, le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique demande au gouvernement français et à l’Union européenne de dénoncer l’absence de démocratie et d’Etat de droit en Guinée Equatoriale et de soutenir dans ce pays l’émergence d’une expression démocratique.
Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique,
Paris, 16 novembre 2017
11 signataires : Coalition d’Opposition pour la Restauration d’un Etat Démocratique (CORED, Guinée Equatoriale), Réseau des Organisations Libres de la Société Civile du Gabon (ROLBG), Ça suffit comme cà ! (Gabon), Fédération des Congolais de la Diaspora (FCD, Congo Brazzaville), Alliance Nationale pour le Changement Ile-de-France (ANC-IDF, Togo), Alliance Républicaine pour le Développement (ARD, Djibouti), Union pour le Salut National (USN, Djibouti), Forces vives tchadiennes en éxil, Amicale panafricaine, Parti de Gauche, Europe Ecologie les Verts (EELV).
Guinée Equatoriale : les grandes dates de la vie politique depuis 1990
Téodoro Obiang Nguema est arrivé au pouvoir par un coup d’État le 3 août 1979.
16 novembre 1991 : référendum constitutionnel pour introduction du multipartisme, sans limitation de nombre de mandats de 7 ans : oui 98.36%.
21 novembre 1993 : législatives, boycott de la coalition Plateforme de l’Opposition Conjointe (POC) : Parti démocratique de la Guinée équatoriale (PDGE) 69.79% et 68 sièges sur 80.
17 septembre 1995 : locales-municipales, fraudes du PDGE puis arrestations, seul scrutin perdu par Obiang, gagné par la coalition Plateforme de l’Opposition Conjointe (POC) qui a gagné plusieurs villes dont Malabo. Les fraudes et la répression entrainent le boycott de la présidentielle en février 1996.
25 février 1996 : présidentielle, boycott de la coalition Plateforme de l’Opposition Conjointe (POC) : Teodoro Obiang Nguema Mbasogo (PDGE) 179 592 voix = 97.85%.
7 mars 1999 : législatives : Parti démocratique de la Guinée équatoriale (PDGE) 85.52% et 75 sièges sur 80.
28 mai 2000 : locales : PDGE : 30 municipalités sur 30 avec plus de 95% des votes.
15 décembre 2002 : présidentielle : Téodoro Obiang Nguema Mbasogo (PDGE) 204 367 voix = 97.06%.
25 avril 2004 : législatives : Parti démocratique de la Guinée équatoriale (PDGE) et alliés :91.82%, 98 sièges sur 100 dont PDGE 68
25 avril 2004 : locales
4 mai 2008 : législatives : Parti démocratique de la Guinée équatoriale (PDGE) et alliés : 99 sièges sur 100 dont PDGE 89.
4 mai 2008 : locales
29 novembre 2009 : présidentielle : Téodoro Obiang Nguema Mbasogo (PDGE) 95,76%.
13 novembre 2011 : référendum constitutionnel : ajout limitation 2 mandats de 7 ans + vice-président + Sénat : oui 97.73%
26 mai 2013 : législatives (Chambre des Représentants du peuple ) : désorganisation opposition, fraudes pendant vote, bourrage urnes: PDGE 89/100, Convergence pour la démocratie sociale (CPDS) : 1 (Placido Mico), APGE : 0, CPDS revendique 17 sièges, Collectif de Solidarité… Afrique.
26 mai 2013 sénatoriales : PDGE 54/55 Convergence pour la démocratie sociale (CPDS) : 1.
26 mai 2013 : locales-municipales : PDGE 327, CPDS : 5.
24 avril 2016 : présidentielle : avancée par surprise sans raison officielle, boycott opposition réelle, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo 93,7%.
– 12 novembre 2017 : législatives, avancées par surprise de mai 2018 sans raison officielle, désorganisation de l’opposition (Cored), exclusion Gabriel Nse Obiang leader de Citoyens pour l’innovation (CI) mais CI et UCD et CPDS participent (pas de boycott).
– 12 novembre 2017 : locales
– 12 novembre 2017 : sénatoriales
Source:
Guinée Equatoriale : après le procès des BMA, des élections saugrenues augurant d’une monarchisation